POINT DE VUE  
New Security Magazine 145 – février 2018

Les caméras et leur valeur ajoutée

CCTV : âge d’or ou enfer en perspective ?

L’impact des systèmes de CCTV sur notre société ne cesse d’augmenter. Les mini-hélicoptères et les drones équipés de caméras haute résolution sont (presque) devenus monnaie courante, tout comme les innombrables caméras portables ou autres caméras de pare-brise qui enregistrent tout ce qui passe à leur portée. Le plus inquiétant, c’est sans doute les images parfaitement nettes de satellites-espions qui font occasionnellement la une. Et l’individu lambda, armé de son smartphone, peut lui aussi déverser comme bon lui semble ses images sur les médias sociaux, en bon citoyen pour dénoncer une agression ou un méfait, tout en piétinant allègrement au passage la réglementation sur la vie privée.

Au 18e siècle, le philosophe Samuel Bentham mettait en scène le ‘Panoptikon’ (‘qui voit tout’ en grec) dans une prison imaginaire en forme de coupole. Cette invention permettait à un seul gardien installé dans une tour d’observer toutes les cellules à l’insu des détenus. Chaque prisonnier vivait donc dans l’idée qu’il était épié en permanence et adaptait ainsi inévitablement son comportement. De même, l’apparition de la vidéosurveillance dans les lieux publics est une forme de « panopticonisation ». Autrement dit, les individus adopteront, face à la caméra, un comportement conforme aux normes, même s’il reste de la marge pour la vie privée hors champ.

Big Brother et la vie privée

En Belgique, rester à l’abri de l’œil électronique des caméras devient peu à peu illusoire, sauf à adopter un déguisement qui ne manquera pas d’attirer l’attention. Selon les chiffres de la Commission de la vie privée, quelque 50 000 sites seront sous vidéosurveillance fin 2017, soit environ 2 millions de caméras (officielles) – un nombre qui a quintuplé depuis 2012. Cependant, pour les experts, on ne peut pas parler d’une prolifération anarchique, car les caméras permettent effectivement d’endiguer les crimes, voire de les résoudre.

Vidéosurveillance dans les lieux clos

Le nombre de caméras augmente aussi progressivement dans les entreprises et dans le privé. En installant pour ainsi dire une caméra dans tous les coins, on présume que les avoirs de l’entreprise seront plus en sécurité. Cette piste de réflexion est certes efficace pour les actes impulsifs, mais pas pour les auteurs professionnels, qui esquivent la vidéosurveillance ou ne frappent que si le butin en vaut la peine et que les risques sont réduits. Mais un concept de vidéosurveillance bien pensé permet aussi de réduire radicalement le risque d’un méfait calculé.

D’abord le concept de base, puis les finitions

La règle approximative dans la conception d’un système de CCTV consiste à définir le rôle principal de chaque caméra. Il s’agira : 1) de donner une bonne vue d’ensemble, 2) d’identifier quelqu’un ou quelque chose, 3) d’identifier la personne ou l’objet. L’identification doit de préférence être irréfutable, comme c’est le cas pour une photo-robot (en couleurs) ou une plaque minéralogique. À l’époque de l’analogique, la fonctionnalité d’une caméra CCD dépendait de la définition adéquate de son rôle, car en zoomant sur les images pour obtenir une identification, on obtenait vite un résultat flou.

Caméras mégapixels hyper-performantes

Aujourd’hui, la question des trois objectifs principaux (identification, reconnaissance, identification) se pose de moins en moins à mesure que les caméras mégapixels se font plus courantes. Pour autant, la règle approximative des trois étapes n’en reste pas moins très importante. Quel que soit le type de caméra, c’est surtout le positionnement qui est important : zoomer à partir d’un point de vue en hauteur ne permettra pas toujours une identification, et l’utilité d’une caméra mégapixels filmant au ras du sol sera elle aussi limitée.

Des caméras omniprésentes

Prenons pour exemple le marché de la grande distribution. Dans un supermarché, les caméras placées au-dessus, dans et entre les rayons supervisent tous nos faits et gestes. Un mix bien réfléchi de caméras intelligentes et de reconnaissance devrait nous permettre de réduire le nombre de caméras nécessaires dans un magasin pour obtenir un résultat identique, voire meilleur. Les entrées et sorties sont des points prioritaires : il est recommandé d’installer des caméras bien visibles combinées à une caméra discrète (filmant sous un autre angle). Le but des deux premières est l’identification, tandis que la troisième peut capter rapidement les traits de ceux qui détournent la tête ou portent une casquette à visière. Pour une caméra mégapixels tournant à 12,5 images par seconde, c’est généralement suffisant.

Des caméras de reconnaissance intelligentes

Une fois l’individu malintentionné identifié à l’entrée, le logiciel intelligent prendra la relève pour suivre son comportement douteux. Le système le suivra dans tous ses déplacements en analysant ses gestes suspects, par exemple un regard subreptice jeté à gauche et à droite avant d’entrer dans le rayon parfumerie... Et de dissimuler ‘discrètement’ des produits dans ses poches préalablement doublées de feuille de plomb ou d’aluminium pour déjouer les portails de détection. Ce type de configuration permet au personnel de sécurité d’intercepter le voleur après la caisse, autrement dit après l’étape du paiement.

Un continuum d’images sans intervention humaine

La préférence ira à un système de CCTV où les images se chevauchent, et se protègent donc mutuellement contre un sabotage potentiel. En effet, les nouvelles technologies – les systèmes intelligents avec fonctionnalité de ‘hand-over’ – permettent de suivre automatiquement des objets sans action supplémentaire. Citons par exemple les caméras surveillant le trafic, qui sont capables de suivre de manière entièrement automatisée un véhicule ‘pirate’ pour l’identifier à sa sortie du centre à l’aide de caméras ANPR. Les villes et communes font aussi de plus en plus souvent appel à ce type de caméras pour dissuader les bandes de cambrioleurs ou les appréhender après coup.

Les caméras en réseau et leur flexibilité

Pour en revenir à l’utilisation en entreprise, établir un relevé des trajets des câbles lors de l’installation permet par la suite d’adapter de façon dynamique le système de CCTV en fonction de la demande. L’utilisation de caméras IP supplémentaires aux endroits critiques, qui peuvent varier selon le magasin ou l’entreprise, peut apporter un surcroît d’efficacité. Les éventuels éclaireurs en seront alors pour leurs frais, car la disposition réelle des caméras lors du cambriolage ne correspondra plus au schéma qu’ils avaient en tête.

« La meilleure défense... »

Et mieux vaut ne pas sous-estimer l’adversaire, car même si le site est surveillé par une centaine de caméras, celles-ci ne peuvent que filmer le malfaiteur, mais pas l’arrêter. Il reste donc crucial d’intégrer en amont des mesures architecturales pour créer préventivement des zones sûres, qui pourront parfois même inclure du vitrage pare-balles. Mais il n’est pas toujours possible de compartimenter, ne fût-ce que pour des raisons budgétaires. Les interventions d’agents de sécurité ou des services de l’ordre restent donc capitales dans la mise en place d’un plan de sécurité. Et prévoir quelques surprises après l’implémentation de ce plan ne sont certainement pas un luxe superflu.

Par Philip Le Bon